Berlin, le 25 mai 2023
Nous sommes des activistes et professionnelles représentant 87 organisations des droits des femmes locales dirigées par des femmes, des filles et d’autres groupes marginalisés de l’Afrique, de l’Amérique latine et des Caraïbes, de l’Asie y compris l’Asie du Sud et le Pacifique, de l’Europe et du Moyen orient. Nous nous sommes réunies à Berlin lors du Forum mondial des femmes pour la paix et l’action humanitaire du 23 au 25 mai 2023 (GWF 2023 selon l’acronyme en anglais)1 pour célébrer nos réalisations, apprendre les unes des autres et appeler la communauté mondiale à reconnaître, amplifier et soutenir notre travail.
Nous travaillons quotidiennement à rendre nos sociétés plus sûres, plus inclusives et plus résilientes. Nos communautés nous font confiance parce que nous comprenons leurs réalités et qu’elles voient les impacts uniques de notre travail de transformation positive en première ligne. Nous sommes des bâtisseuses de paix et les premières intervenantes face aux besoins urgents de nos communautés pendant les crises, nous luttons contre les normes patriarcales afin de favoriser une culture de la paix et nous influençons les politiques clés pour construire un monde plus pacifique et avec plus d’égalité des sexes.
Plus de vingt-deux ans après l’adoption de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, ayant établi l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité, neuf autres résolutions connexes ont été adoptées et de nombreux autres engagements ont été pris. En 2016, les acteurs humanitaires se sont réunis au Sommet humanitaire mondial et ont adopté le Grand Bargain – un accord unique, comprenant des engagements en faveur d’une action humanitaire plus localisée et inclusive. Les engagements ont été renforcés avec
le Grand Bargain 2.0, adopté en 2022. En 2020, s’appuyant sur les fondements de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, le Pacte mondial sur les femmes, la paix et la sécurité et l’action humanitaire a été créé pour catalyser et accélérer la mise en œuvre des engagements en matière de Femmes, paix et sécurité. Cependant, les normes patriarcales continuent de dominer nos sociétés, affectant tous les aspects de notre vie. Notre travail reste invisible et notre sécurité est souvent menacée. Nous continuons de faire face aux défis suivants :
– Le nombre et la complexité des crises augmentent, les conflits armés, l’instabilité politique, le changement climatique, les catastrophes soudaines, l’insécurité alimentaire, les déplacements forcés d’une ampleur sans précédent et la marginalisation chronique nous plongent dans un
1 Pour plus d’informations sur le Forum 2023 rendez vous sur : https://wphfund.org/wp content/uploads/2023/06/FRENCH-WPHF-Global-Womens-Forum-2023-Concept-Note.pdf
1 état d’urgence permanent. Nos vies, nos droits et nos corps sont de plus en plus au cœur des luttes politiques et des conflits violents.
– La réaction contre nos droits – y compris les discours de haine et la violence sexiste – s’intensifie et empêche notre participation significative. Cela a rendu acceptable que les gouvernements et les sociétés soient ouvertement sexistes, anti-femmes, anti-trans et patriarcaux. En conséquence, nous sommes privées de nos droits fondamentaux, notamment de nos droits à la santé sexuelle et reproductive, nos droits à l’héritage et d’opportunités économiques et d’éducation, et notre mobilité est réduite – certaines d’entre nous doivent être accompagnées d’un homme en public, et nous sommes confrontées à des obstacles supplémentaires pour obtenir des visas pour voyager.
– Nous faisons face à l’épuisement, au burnout et au traumatisme. Cependant, notre bien-être et notre santé mentale ne sont pas considérés comme une priorité et sont rarement appuyés financièrement.
– La rareté des financements complique notre fonctionnement et nous pousse à entrer en concurrence plutôt qu’à créer des coalitions et des synergies. Les possibilités de financement sont souvent basées sur une approche projet, à court terme et ne sont pas flexibles. En conséquence, nous avons du mal à payer notre personnel et à soutenir notre travail. Les procédures longues, hautement techniques et bureaucratiques rendent difficile l’accès au financement, en particulier pour les organisations rurales et communautaires, les personnes en situation de handicap, les jeunes et des personnes issues de communautés historiquement opprimées et marginalisées.
– Nous restons marginalisées dans les processus de paix, la prise de décision politique et les interventions humanitaires. Même lorsque les femmes s’assoient à la table, elles ne sont pas écoutées, alors que l’expérience nous montre que lorsque les femmes ne participent pas de manière significative, des crises mondiales se produisent.
Ces défis graves sont exacerbés pour les femmes qui sont confrontées à des niveaux de discrimination, exclusion, invisibilité et violence supplémentaires fondés sur l’appartenance ethnique, le statut économique, l’âge, les capacités, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, telles que les jeunes femmes et les filles, les femmes âgées, les Noires, les Métisses, les Afro descendantes, les femmes autochtones, les veuves, les femmes vétéranes, les femmes handicapées, les femmes lesbiennes, bisexuelles et trans, les femmes vivant avec le VIH, les femmes réfugiées et déplacées internes, les femmes vivant dans les communautés d’accueil, les femmes migrantes, les femmes ex-combattantes, les femmes des communautés rurales, les femmes qui n’ont pas accès aux technologies modernes, les femmes vivant dans des territoires au statut politique contesté, et d’autres groupes marginalisés.
Nous quittons Berlin pleines d’énergie, inspirées et déterminées à redoubler d’efforts pour relever ces défis. Nous avons élaboré des stratégies communes que nous mettons déjà en œuvre. Cependant, le poids de la responsabilité ne repose pas uniquement sur nous.
C’est pourquoi nous nous tournons vers les gouvernements, les donateur/ices, les Nations Unies, les ONG internationales et les entreprises privées en leur lançant un appel pour qu’ils fassent preuve d’un leadership féministe et éthique, et prennent les mesures suivantes :
- Adopter une position ferme, décisive et intransigeante contre les atteintes à notre sécurité, à notre bien-être, à nos vies et à notre travail et contre les normes patriarcales qui conduisent à la normalisation de la violence, de l’apartheid sexuel et de la persécution de genre.
2 1.1. Les États Membres, les Nations Unies et les autres organisations internationales devraient condamner publiquement et fermement les violations des droits des femmes commises par tout acteur gouvernemental et non gouvernemental, y compris les groupes extrémistes, et imposer des sanctions politiques et financières décisives et ciblées à tout acteur impliqué dans de telles violations, et éviter de perpétuer les discours haineux et la discrimination.
1.2. Les États membres, les Nations unies et les autres organisations internationales devraient prendre des mesures concrètes et tangibles pour soutenir les pratiques et les mécanismes d’autoprotection des femmes, des jeunes femmes et des filles dans toute leur diversité, y compris les femmes handicapées et les femmes déplacées de force.
1.3. Les donateurs/ices devraient reconnaître que le bien-être physique et mental des artisan.e.s de la paix, des leaders de la société civile, des intervenant.e.s humanitaires et des défenseur.e.s des droits humains au niveau local est une priorité essentielle et insister pour qu’un budget spécifique pour l’équipement de protection et la formation et un soutien psychosocial et pour la guérison soit prévu dans tous les programmes de consolidation de la paix et d’aide humanitaire. Cela devrait inclure des approches de guérison des traumatismes dirigées et détenues localement et innovantes, qui respectent les cultures et les visions du monde locales et s’appuient sur les connaissances contextuelles et ancestrales.
1.4. Les act.eurs/rices humanitaires, y compris les Nations Unies, les ONG internationales et les autres organisations internationales, devraient créer des espaces sûrs pour les intervenant-e-s humanitaires de base, ainsi que pour le personnel international et national, afin de partager leurs défis, de guérir leurs traumatismes et de renforcer leur résilience, ainsi que des canaux rapides, fiables et confidentiels pour signaler tout abus auquel ils/elles sont confronté.e.s.
1.5. Les États membres, les Nations Unies, les organisations internationales, les ONG internationales et les autres donateurs/ices devraient redoubler d’efforts pour accroître la visibilité de l’action et de l’impact des organisations de la société civile locales et communautaires dirigées par des femmes et défendant les droits des femmes, dans des contextes où une plus grande visibilité peut favoriser la confiance et réduire les risques auxquels elles sont confrontées plutôt que de les exposer à des représailles. Cela devrait inclure la mise en relation des militantes locales dans toute leur diversité avec des acteurs des médias, le soutien à la formation des journalistes et l’apport d’un financement spécifique pour la documentation et la promotion de l’impact de ces organisations locales et communautaires menées par des femmes et défendant les droits des femmes.
- Apporter des changements radicaux aux structures et mécanismes de financement existants en fournissant un financement institutionnel, à long terme et flexible aux organisations communautaires et locales, y compris celles dirigées par des femmes et des filles dans toute leur diversité.
2.1. Les Nations Unies devraient utiliser leur rôle fédérateur pour organiser une conférence des donateurs/ices axée sur le financement féministe et le financement des activistes pour la paix au niveau local et réunir les principaux décideurs des entités donatrices pour discuter des moyens concrets d’honorer leur engagement en faveur d’un financement plus accessible et prendre des engagements spécifiques en matière de financement des organisations communautaires dirigées par des femmes et défendant les droits des femmes. Cette rencontre devrait inclure un échange d’expériences avec des organisations de financement féministes, afin de tirer des enseignements
3 de leurs approches et de leurs stratégies de financement de diverses organisations, y compris celles dirigées par des jeunes femmes, des femmes noires et des femmes handicapées. 2.2. Les Nations Unies et les institutions financières internationales devraient veiller à ce que les femmes soient véritablement incluses dans le processus de réforme des institutions de Bretton Woods, demandé par le Secrétaire général lors du Sommet du G7 à Hiroshima en mai 2023. 2.3. Les donateurs/ices devraient laisser de la place au leadership des femmes et à leur participation significative à toutes les étapes des cycles de financement, en commençant par la conception des mécanismes et des opportunités de financement.
2.4. Les donateurs/ices devraient revoir leurs critères d’éligibilité, simplifier considérablement leurs procédures d’application et de rapportage, et veiller à ce que les financements fournis soient accessibles, y compris aux organisations dirigées par des personnes handicapées, des personnes réfugiées, des femmes noires et d’autres groupes marginalisés.
2.5. Les donateurs/ices devraient veiller à ce que les financements fournis soient à long terme et offrent aux organisations locales défendant les droits des femmes et dirigées par les femmes la flexibilité nécessaire pour s’adapter à l’évolution de l’environnement et apporter une réponse holistique, tout en opérant dans le cadre de l’approche Nexus entre la paix, le développement et l’aide humanitaire, par exemple, en mettant en œuvre une réponse d’urgence parallèlement aux programmes de subsistance et d’éducation à la paix.
2.6. Les donateurs/ices devraient également fournir un financement à court terme rapidement et immédiatement accessible aux organisations dirigées par des femmes et aux organisations de défense des droits des femmes pour faire face aux crises urgentes et aux besoins de protection. Cela doit tenir compte des défis auxquels les femmes et les organisations sont confrontées pour accéder aux fonds via les banques.
2.7. Les donateurs/ices devraient s’assurer que leurs procédures sont localisées et contextualisées, par exemple, en permettant une flexibilité dans le soutien aux organisations non enregistrées et aux groupes informels dans des contextes où l’enregistrement peut ne pas être possible et en maintenant une flexibilité sur les domaines thématiques de financement dans des contextes où travailler officiellement sur des thèmes spécifiques peut mettre les activistes à risque.
2.8. Les donateurs/ices devraient amplifier et rendre compte de leurs efforts pour répondre à l’appel du Secrétaire général des Nations Unies à multiplier par cinq l’aide directe aux organisations de femmes, qui s’élève actuellement à 0,2 %.
2.9. Les donateurs/ices devraient inviter les femmes dans toute leur diversité aux conférences des donateurs/ices et s’assurer qu’elles sont en mesure de participer de manière significative et d’influencer les discussions.
- Favoriser et amplifier la structuration, la construction de mouvements et la solidarité entre les femmes leaders et activistes de la société civile de base, locale et nationale, aux niveaux national, régional et mondial.
3.1. Les donateur/ices devraient créer des opportunités de financement dédiées à la construction et au renforcement des mouvements féministes de la société civile et des coalitions régionales. Ce financement devrait cibler spécifiquement les organisations communautaires et locales dirigées par des femmes dans toute leur diversité, y compris les femmes handicapées, les femmes rurales, les jeunes femmes, celles qui sont déplacées de force et vivent en exil, les femmes nomades, les
4 groupes de femmes informels et les autres qui n’ont peut-être pas accès à des possibilités de mise en réseau.
3.2. Les organisations internationales, les ONG internationales et les Nations Unies devraient régulièrement organiser des échanges d’expériences régionaux et mondiaux afin d’instaurer la confiance et une véritable collaboration entre les organisations de défense des droits des femmes et menées par des femmes, et les femmes et jeunes femmes leaders, tels que le GWF 2023. Il faudrait s’efforcer de cibler en particulier les femmes qui ont un accès limité ou nul à ce
type d’espaces.
3.3. Les organisations internationales, les ONG internationales et les Nations Unies devraient soutenir – financièrement et techniquement – la mise en place d’espaces et de plateformes pour permettre une coordination régulière et continue, un échange d’expériences et le renforcement de la solidarité entre les organisations de la société civile locales et communautaires dirigées par des femmes et des personnes appartenant à d’autres groupes marginalisés. Cela pourrait impliquer l’utilisation des technologies digitales pour créer et appuyer des communautés de pratique régionales et mondiales virtuelles, ainsi que l’organisation d’ateliers de renforcement des capacités et de partage des connaissances.
3.4. Les organisations dirigées par des femmes et défendant les droits des femmes devraient tirer parti des plateformes existantes et nouvelles – y compris les coalitions établies pendant le GWF2023, afin de coordonner l’échange d’informations sur les crises, mener des alertes précoces et prévenir les flux d’armes illicites, soutenir et amplifier le plaidoyer de chacun-e, co-créer des recherches et des connaissances féministes et échanger et formuler des priorités communes en vue d’influencer les politiques régionales et mondiales, ainsi que les processus de paix.
3.5. Les organisations dirigées par des femmes et défendant les droits des femmes devraient envisager d’inclure des hommes et des jeunes hommes, y compris ceux qui occupent des postes de pouvoir, en tant qu’alliés dans leurs coalitions et leurs rencontres, si elles le jugent approprié, pour contester les normes patriarcales, lutter contre la violence sexiste dans leur vie personnelle et dans la société en général, et pour relever les défis auxquels sont confrontés les jeunes hommes et les garçons dans une société patriarcale.
- Veiller à ce que nous puissions participer et utuiliser notre expérience et notre expertise en matière de construction de la paix pour influencer tous les processus électoraux, de prise de décision politique et de paix
4.1. Les donat-eurs/rices devraient renforcer leur soutien aux programmes et initiatives visant à accroître la participation des femmes aux élections et à la politique, tant au niveau local que national, notamment en soutenant l’organisation de rencontres de femmes et de filles dans toute leur diversité en amont des processus de prise de décision importants, permettant aux femmes d’élaborer des agendas politiques communs.
4.2. Les donateurs/ices, les organisations internationales et les ONG internationales devraient reconnaître que l’indépendance économique est une condition préalable à une participation significative des femmes et fournir un soutien financier et technique aux programmes de moyens de subsistance durables et à la lutte contre l’insécurité alimentaire.
4.3. Les gouvernements nationaux et locaux, y compris les organismes nationaux des droits humains, devraient créer des mécanismes flexibles de coordination avec les organisations dirigées par des
5 femmes et défendant les droits des femmes afin de tirer parti de leur expertise et de les soutenir dans la mise en œuvre des lois transformatrices.
4.4. Les États Membres, les Nations Unies et les organisations régionales et internationales impliquées dans la médiation des processus de paix devraient exiger une participation significative des femmes dans toute leur diversité comme condition préalable à leur soutien à tout processus. Les modalités de cette participation devraient être définies et évaluées en consultation avec les organisations dirigées par des femmes et défendant les droits des femmes.
- Reconnaître que notre expertise est fondamentale pour prévenir et traiter les crises humanitaires mondiales et promouvoir la justice climatiqueacteur
5.1. Les gouvernements et les act-eurs/rices humanitaires devraient donner la priorité et exiger la participation et le leadership de diverses femmes locales dans les structures de prise de décision lors des crises humanitaires, y compris les comités des camps de réfugié-e-s et les groupes de coordination des Nations Unies.
5.2. Les donat-eurs/rices devraient reconnaître les organisations locales dirigées par des femmes et défendant les droits des femmes en tant qu’intervenantes humanitaires légitimes et leur fournir un financement flexible et durable.
5.3. Les organisations internationales, les ONG internationales et les autres act-eurs/rices humanitaires devraient inclure de manière proactive les organisations des droits des femmes et les organisations dirigées par des femmes dans l’analyse du contexte et la conception des interventions, afin de s’assurer que ces interventions saisissent de manière adéquate les impacts contextuels des crises humanitaires intersectionnelles, y compris la crise climatique, l’insécurité alimentaire et les crises de personnes réfugiées et leurs moteurs sous-jacents, comme la crise de la dette.
5.4. Les organisations internationales, les ONG internationales et les autres acteurs/rices humanitaires devraient accorder une plus grande attention aux besoins des femmes handicapées et reconnaître leurs capacités et leurs contributions uniques.
5.5. Les États Membres, les organisations internationales, les ONG internationales et les autres acteurs humanitaires et de développement devraient investir dans le renforcement des capacités des femmes rurales à faire face à l’insécurité alimentaire. Cela peut inclure l’utilisation de l’innovation, de la numérisation et de technologies efficaces pour les femmes rurales dans toute leur diversité afin de surmonter les défis environnementaux et liés au changement climatique.